Le 17 octobre 1960 à 11 h 45 du matin, la DS présidentielle fut prise sous le feu d'une mitrailleuse lourde dissimulée dans un camion à la Croix de Berny. Le Général décéda quelques instants plus tard sur ces dernières paroles : « On aurait dû passer par le Petit-Clamart. Quelle chienlit... ». Les « événements d’Algérie » vont alors prendre une tout autre tournure. Les combats se prolongent jusqu’en 1965, l’armée de libération algérienne, à bout de force, négocie l’indépendance en laissant à la France trois enclaves : Alger et ses environs, Oran et Bougie en Kabylie. Dans l’Algérois de la fin des années 60 s’installent alors les vautriens, mouvement de jeunes inspirés par Timothy Leary et découvrant la gloire, nom local du LSD. Ils ont connu leur Woodstock à Biarritz, et répandent avant l’heure un mouvement à cheval entre la contre-culture américaine et mai 68. Ils participent aux manifestations qui conduisent ce petit territoire à l’autonomie pendant que la France tombe aux mains d’un régime fascisant. Dans cette nouvelle nation un collectionneur de disques se lance à la recherche d’un vinyle particulièrement rare, quête qui le mène à explorer le passé récent de son pays.
Roman magistral, dans son histoire, sa construction, et colossal dans son ambition (plus de 700 pages). Alors que beaucoup se contentent d’un point de divergence clair entrainant une intrigue parle, à nous français, d’une page de notre histoire encore difficile à tourner.classique, ici, l’uchronie transpire de chaque paragraphe. Organisé en multiples récits courts avec plusieurs narrateurs à différentes périodes, nous assistons à la construction d’une toile impressionniste : chaque page ajoute un trait à cette fresque nous contant trente ans de la vie de l’Algérois. Si l’entremêlement de ces récits sans indication de narrateur ou d’époque peut dérouter au début de la lecture, on repère rapidement les personnages récurrents et cette gymnastique narrative devient un jeu entre le lecteur et le livre, évitant toute monotonie. Uchronie politique, mais aussi culturelle : par le biais du narrateur principal ( l’alter ego de Roland C Wagner) et de sa passion pour la musique, les disques et leurs histoires, l’écrivain crée une nouvelle contre-culture alternative francophone crédible au rock et au mouvement hippie, remplie de nombreux clins d’œil, comme le Woodstock français situé à Biarritz ou le guitariste Dieudonné Laviolette dont la trajectoire ressemble fortement à celle de Jimi Hendrix.
Les événements sont inventés mais l’intrigue reste toujours crédible, c’est le propre d’une bonne uchronie.
un roman vif, épais, aussi riche que jubilatoire, dans lequel les tensions du passé et les tabous de l’Algérie sont exorcisés à travers le spectre de l’uchronie. Un roman fort, qui ne se limite pas à la seule uchronie, mais qui nous parle, à nous français, d’une page de notre histoire encore difficile à tourner.